La France passe la main
Mendès France avait témoigné à Genève de son désir d’examiner avec la RDVN les moyens d’aboutir au Vietnam à un règlement politique satisfaisant et équitable conforme aux principes énoncés à Genève. Il avait même, dans une lettre du 22 juillet à Dong, envisagé une coopération économique. En dépit de garanties générales qui s’expriment dans un accord signé le 11 décembre 1954, la quasi-totalité des entreprises françaises opérant dans le Nord préféreront déménager que demeurer sous le régime d’Hanoi.
Le 30 décembre 1954, devant quelques journalistes occiden¬taux, Pham Van Dong adjure :
Le Gouvernement populaire désire sincèrement établir avec la France des relations économiques pour des raisons à la fois politiques et économiques. C’est notre intérêt comme celui de la France. Cela n’empêche pas d’établir des relations avec d’autres pays amis comme la Chine, mais nous avons l’habi¬tude de travailler avec les Français et nous pouvons continuer sur une base d’égalité et de réciprocité.
Pham Van Dong déplore alors que le gouvernement Mendès France n’ait pas poursuivi sa politique amorcée à Genève.
La France doit choisir entre Washington et Hanoi, et seule cette seconde politique lui permettrait de maintenir des positions politiques et économiques dans le Pacifique. Or la France va vers Washington. Elle est allée à Manille pour signer un pacte d’agression. La France hésite. Or une politi¬que doit être fondée sur des bases stables. On ne peut pas toujours faire de l’acrobatie. […] Il y a certes des difficultés pour établir des relations entre nos deux pays, mais elles ne sont pas insurmontables si on s’efforce sincèrement de les résoudre. Nous avons besoin d’amis et voulons considérer les Français comme des amis. L’intérêt de la France est de s’entendre avec nous.
Interrogé sur les rumeurs selon lesquelles le gouvernement de Saigon préparait une déclaration annonçant son refus de procéder aux élections de 1956, Dong déclare :
Ce serait une décision très grave, mais c’est vous Français qui êtes responsables, car c’est avec vous que nous avons signé les accords de Genève et c’est à vous de les faire respecter. […]
L’unité du Vietnam se fera de toute façon, avec la France ou contre la France. Mais si la France tente de s’y opposer, elle sera battue, car on ne peut pas arrêter le cours de l’histoire.
Mais la politique française s’oriente toujours davantage vers une coopération avec Washington et Londres. Le 29 novembre, sous la pression conjuguée de Paris et de Washington, Bao Dai, resté à Cannes et que les Américains ont demandé à Mendès France de ne pas laisser retourner au Vietnam, relève de ses fonctions le général Hinh, chef d’État-major de l’armée, qui s’oppose à Diem. Le général Ély, haut-commissaire de France et commandant en chef en Indochine, se fait l’avocat d’une entente étroite avec les Etats-Unis. À Saigon, les généraux Ély et Collins paraphent le 13 décembre un accord au sujet de la mise sur pied et l’instruction des forces armées vietnamiennes autonomes : la France accorderait, le 1er juillet 1955 au plus tard, une complète autonomie aux forces armées du Vietnam. Mais, dès le 1er janvier, la pleine responsabilité pour l’organisa¬tion et l’instruction de ces forces sera assumée par le chef de la mission militaire américaine, laquelle fournira instructeurs et conseillers.
L’accord, discuté par Mendès France et Dulles à Paris, le 18 décembre, fut approuvé par les deux gouvernements. L’armée sud-vietnamienne sera désormais directement finan¬cée, instruite et pourvue de matériel par les États-Unis. Comme me indépendance économique et financière totale sera finale¬ment accordée par la France au Vietnam le 30 décembre 1954, l’aide américaine va pouvoir parvenir au gouvernement de Saigon sans la moindre interférence française. La France a, en fait, passé la main.
La fin
À Hanoi, ceux qui, au lendemain de Genève, avaient mis en garde le président Hô Chi Minh, souligné qu’on ne pouvait faire confiance aux Français parce que les mêmes forces qu’en 1946-1948 étaient au pouvoir à Paris, triomphent et demandent qu’on tire les conclusions de cette fourberie.
Le 22 janvier 1955, le général Ély rend compte à Paris du long entretien qu’il vient d’avoir à Saigon avec M. Desai, président indien de la Commission internationale de contrôle des accords de Genève. Celui-ci reconnaît, avec Ély, qu’il y a bien un durcissement de l’attitude d’Hanoi.
M. Desai a dit que la Chine et surtout l’URSS exercent en ce moment une forte pression sur les dirigeants de Hanoi, insistant sur le fait que ceux-ci n’ont plus rien à attendre de la convention de Genève, dont les clauses militaires seront sans doute encore respectées par le commandement de l’Union française, mais dont les clauses politiques, esquissées à l’article 14 et développées dans la déclaration finale, seront délibérément négligées par le Gouvernement de Saigon sou¬tenu par les Américains. La France ne sera pas en mesure de s’opposer à cette nouvelle orientation. Le Vietnam n’a donc qu’une solution, c’est de s’en remettre complètement à ses grands alliés qui seuls peuvent créer par leur action à l’échelon mondial une conjoncture favorable à la réalisation des visées du Viet Minh sur l’ensemble du Vietnam, pour lequel, au surplus, le Viet Minh doit être prêt à combattre si nécessaire. […]
M. Desai a émis l’opinion qu’il serait souhaitable à un moment opportun qu’une très haute personnalité française prenne officiellement et nettement position sur les intentions du Gouvernement de respecter intégralement les stipulations politiques spécifiées dans la tenue des élections. […]
La conclusion tirée par d’autres observateurs à la même époque est que la France se désintéresse maintenant du Vietnam du Nord.
Cela revient à le livrer à l’influence chinoise, ce que Paris s’était totalement refusé à admettre début 1946. Sic transit…
La RDVN réalisa que la France ne mènerait pas dans le Sud une politique indépendante de celle des États-Unis et que la négociation de Genève avait été, finalement, pour elle presque un jeu de dupes. L’évacuation d’Haiphong en mai 1955 ne signifia pas seulement la fin de la présence militaire française au Vietnam du Nord. Elle mit fin aux espoirs de coopération. Paris ne fit rien, et ne pouvait sans doute plus rien, pour favoriser l’application des accords de Genève.
Déférant à la demande de Diem le gouvernement Guy Mollet allait, en avril 1956, retirer les dernières troupes françaises du Vietnam du Sud, mettant ainsi un terme à une présence militaire de quatre-vingt-dix-sept ans. Le Vietnam était cette fois sorti, et définitivement, de l’Union et de l’orbite françaises..
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