La vietnamisation de la guerre 6

Dans une dépêche au ministre Guy La Chambre du 21 octobre, Sainteny relate comme suit la reprise de contact avec Hô Chi Minh :
[…] C’est bien l’homme de 1945-46 que j’ai eu devant moi […] et qui, après une seconde d’hésitation assez lourde, s’est jeté dans mes bras.
Aussi simple, aussi dédaigneux que jadis du protocole et des honneurs, il reste le maître. La santé qu’il semble avoir recouvrée, l’absence de signes de vieillissement ne sont pas les marques d’un homme qui ne disposerait pas de sa pleine indépendance. […] Il est indéniable qu’en dehors de toute considération politique, le peuple le vénère. […]
Dans notre entretien du 18 octobre, il s’est attaché à éliminer tout ce qui peut rappeler la lutte sanglante dont sortent à peine Français et Vietnamiens, il voudrait reprendre le dialogue là où nous l’avons laissé en 1946 et ne nous en voudra pas d’avoir mené la lutte à outrance contre nous pendant huit ans, pas plus qu’il ne m’en voudra personnelle¬ment de m’avoir laissé pour mort rue Paul-Bert le 19 décem¬bre 1946. Tel reste l’homme que nous trouvons encore devant nous et dont dépend le sort des positions françaises au Vietnam et en Asie.
[…] Cependant, tout ceci n’est acquis […] que sur un plan strictement personnel, et c’est ici, et maintenant […] que notre position doit être clarifiée.
Le Vietnam démocratique prétend être prêt à parler, à négocier, à nous réserver une position encore très acceptable, bref à respecter Genève et à « jouer le jeu ».
Il faut donc le prendre au mot et le contraindre, sans lui laisser le temps de se ressaisir, à abattre ses cartes. Je crois aujourd’hui […] que je pourrai le faire, mais… je ne le ferai qu’en toute loyauté.
Beaucoup de nos tentatives pour régler l’angoissant pro¬blème vietnamien ont échoué parce que nos intentions n’étaient pas limpides. Trop souvent dans ce pays, nous avons essayé de reprendre d’une main ce que nous donnions de l’autre. La méfiance que le président Mendès France a si bien dénoncée à Genève, qui a empoisonné tous nos rapports et fait avorter toutes nos tentatives, provient de cette fâcheuse tendance.
Or, à nouveau, nos intentions ne paraissent pas très claires aux yeux de nos adversaires d’hier. Je dois à la vérité d’avouer qu’elle ne le sont pas plus à mes propres yeux.

Voir plus: Circuit Vietnam authentique | Circuit Mai Chau Tam Coc Halong 5 jours | circuits vietnam cambodge | voyage sur mesure au vietna
Je vous demande donc à nouveau, Monsieur le Ministre, avant d’aller plus avant et d’exploiter la position favorable que je suis parvenu à rétablir ici, de me faire l’estime et l’amitié de me fixer sur ce que le Gouvernement attend de moi.
Aussi franchement que je me permets de le faire avec vous, je vous prie de demander au président Mendès France de ne pas me laisser plus longtemps dans l’équivoque. […] Il est indispensable que je sache si je puis m’engager dans la ligne de Genève, avec tous les prolongements qu’elle comporte (en particulier le maintien de nos compatriotes), ou si je suis ici pour donner le change et, par ma présence, rassurer nos interlocuteurs, cependant qu’une politique comportant un net raidissement serait pratiquée par ailleurs. C’est à cette manœuvre qu’il me serait impossible de me prêter. […]
J’ai accepté cette mission à la condition de pouvoir me démettre si je me trouvais ici en face d’une entreprise de soviétisation totale. Je ne voudrais en aucun cas y être associé.
Dans le même esprit, je me refuse à avaliser par ma présence une politique quelconque de reconquête qui ne manquerait pas de compromettre le peu d’atouts que nous conservons, si tant est qu’elle ne nous conduise pas à une reprise d’hostilités catastrophiques.
Je ne pense pas que nous ayons, pour le moment, à redouter la première alternative. Le Vietnam démocratique, certes, est communiste, mais il semble vouloir garder une certaine indé¬pendance et nous devons l’y aider. C’est en nous maintenant près de lui que, tout en évitant sa satellisation complète, nous lui procurerons les contacts indispensables avec l’Occident.
Cette voie nous ouvre fort peu d’espoirs ; elle est semée d’obstacles de tous ordres; elle exigera de notre part une patience surhumaine. Elle est la seule, cependant, qui com¬porte quelque chance de nous voir nous maintenir à un poste d’observation exceptionnel dans ce Sud-Est asiatique où l’œuvre française n’est pas près d’être effacée.
Vous devez être éclairé maintenant sur ce que valent les cartes qui ont été essayées dans le Sud. […] Seule, par conséquent, la carte que nous pouvons jouer ici ne paraît pas aboutir à notre éviction totale. C’est celle-là qu’il faut tenter, mais elle ne doit pas être biseautée. […]
En marge de cette dépêche, le chef adjoint du cabinet de PMF et son conseiller sur les affaires indochinoises, Claude Cheys- son, a écrit, le 2 novembre :
[…] Actuellement nous demandons à M. Sainteny de défendre au mieux les intérêts français et de garder avec les autorités VM des relations qui permettent, le cas échéant, d’aller plus loin lorsque notre politique à l’égard de la Chine évoluera à son tour. Il est impossible de brusquer les événements. Il est impossible également de renoncer à la consolidation du Vietnam Sud aussi longtemps qu’il restera une chance d’y parvenir. […]
M. Sainteny […] devrait, en tout cas, être mis en garde contre une trop grande hâte et un penchant marqué pour la simplification exagérée des problèmes.

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