Fondamentalement, l’accord de Genève prévoit un partage provisoire du Vietnam en deux zones de regroupement des forces armées des deux parties, en attendant que des élections générales libres, sous contrôle international, permettent à ce pays de se doter d’un gouvernement national unique et démo¬cratiquement élu. Les autorités des deux zones se concerteront dès 1955 pour préparer ces élections, qui devront avoir lieu au plus tard en juillet 1956.
La ligne de démarcation entre les deux zones est fixée au 17e parallèle. Par étapes, les forces de l’Union française se replieront au sud de cette ligne, tandis que celles de la RDVN se regrouperont au nord.
La France reste puissante au Sud, où se trouvent ses principaux intérêts économiques, culturels et stratégiques, mais elle a, dès le 21 juillet 1954, pris envers le gouvernement Diem (qu’elle reconnaît comme le seul légitime) l’engagement de retirer ses troupes du Sud dès que Saigon le lui demandera. Or, soutenu par les États-Unis, Diem refuse les clauses politiques de l’accord : les chances de tenir les élections, prix de l’armistice, sont donc faibles, et la France se prive des moyens de garantir l’exécution des accords qu’elle a signés.
« C’est l’Américain qui est le leader… »
D’ores et déjà, l’ « Occident » va perdre le Vietnam du Nord, et Washington veut au plus tôt colmater la brèche, rétablir sur le 1T parallèle le bastion qui contient la Chine et le communisme. Il lui faut doter l’Asie du Sud-Est d’un pacte, équivalent à celui de l’Atlantique Nord, réalisant ici aussi le front des puissances occidentales et de leurs alliés régionaux. Il est décidé de le signer à Manille, le 8 septembre 1954. À Guy La Chambre, son ministre chargé d’y représenter la France, Mendès France donne, le 5, ces instructions :
J’écarte toute orientation de la politique au Vietnam qui doive conduire à terme à une tentative de conciliation avec le Vietnam Nord. […] Autant j’ai souhaité que nous soyons représentés valablement à Hanoi, autant il est indispensable de sauvegarder l’indépendance de la politique faite au Sud. Ceci ne doit prêter à aucune confusion.
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Il est indispensable que l’orientation politique à prendre dans le Sud-Vietnam soit étudiée en accord avec les États- Unis. Nous avons de nombreuses difficultés avec eux par ailleurs. Il ne faut pas avoir de motifs supplémentaires d’opposition au Vietnam. Il sera donc nécessaire de profiter de la conférence de Manille pour étudier avec eux les décisions à prendre et réaliser un accord indispensable sur la politique à Saigon.
Le 29 septembre, tandis que les États-Unis acceptent de financer encore un moment la présence militaire française au Sud-Vietnam, un protocole secret est signé à Washington entre La Chambre et le secrétaire d’État adjoint, Bedell-Smith : les deux pays adopteront au Vietnam une politique commune pour défendre l’indépendance des États associés. Les deux gouver¬nements conviennent de s’opposer résolument au développe¬ment de l’influence ou du contrôle du mouvement Viet Minh, reconnu comme une force communiste agressive contraire aux idées et aux intérêts des peuples libres des États associés, de la France et des États-Unis. Les deux gouvernements soutien¬dront Diem dans l’établissement et le maintien d’un gouverne¬ment fort, anticommuniste et nationaliste, et agiront pour que tous les éléments anticommunistes au Vietnam […] collabo¬rent pleinement avec le gouvernement de Ngô Dinh Diem, afin de réagir vigoureusement contre le Viet Minh et afin de bâtir un Vietnam libre et fort.
De retour à Paris, La Chambre rapporte qu’au cours des entretiens de Washington il s’est constamment inspiré de la directive donnée par le président Mendès France, savoir : dans le Sud-Est asiatique, c’est l’Américain qui est le leader de la coalition. La France s’est donc, en esprit, totalement alignée sur Washington et la politique de Dulles. Ainsi conforté, Eisenhower, dans une lettre personnelle, assure alors Diem du complet soutien américain, moyennant quelques réformes. Dès le 8 novembre, un ambassadeur spécial de la Maison- Blanche arrive à Saigon, bientôt suivi d’une mission militaire américaine. Le décor de la seconde guerre du Vietnam est planté.
Hô Chi Minh et Sainteny : les retrouvailles
L’ancien (et aussi nouvel) adversaire est cependant toujours là. Que va-t-on faire ? Va-t-on simplement le « laisser en dehors » du système, comme l’avait accepté d’Argenlieu le 2 août 1946 ? Pressenti début juillet par Mendès France pour le poste de délégué général en zone Nord, Sainteny a d’abord hésité. Après avoir consulté le général de Gaulle, il a finalement accepté.
En fait, sa nomination, le 7 août, comme délégué général de la République française au Vietnam du Nord a inquiété à la fois Saigon et Washington, qui se demandent si Paris ne va pas reprendre son flirt avec Hô Chi Minh. Mendès France a été adjuré de limiter au maximum l’objet de la mission de Sainteny.
Le 10 octobre 1954, presque huit ans après l’avoir quittée, le gouvernement Hô Chi Minh revient dans sa capitale, Hanoi, que vient d’évacuer l’armée française. Une grande enclave autour d’Haiphong-Hongay mise à part (qui doit être évacuée « trois cents jours plus tard »), toute la zone située au nord du 17e parallèle est, courant octobre, rendue par l’armée française au contrôle du gouvernement Hô Chi Minh.
Dès sa réinstallation à Hanoi, le gouvernement de la RDVN avait témoigné de la vive préoccupation que lui causait l’évolu¬tion de la situation dans le Sud. Dès les premiers entretiens qu’ils ont eus avec Sainteny, le président Hô Chi Minh et le ministre des Affaires étrangères Pham Van Dong ont cherché à déterminer la politique que finalement la France désire mener au Vietnam.